[Mag'UPVD #48] Eau en bouteille : une histoire qui fait « pschitt » ?

Le 19 mai 2025, le Sénat a remis les conclusions de sa commission d’enquête sur « les pratiques des industriels de l’eau en bouteille ». Initiée en décembre 2024, elle faisait suite au scandale médiatique « des eaux minérales en bouteille ».

  • Le 7 juil.
Pendant des années, une grande multinationale a commercialisé une eau préalablement traitée sous l’appellation « eau minérale ». Or, en France, cela constitue une fraude. Présent lors de la commission, le Pr Nicolas Marty, enseignant-chercheur à l’UPVD et auteur de plusieurs ouvrages sur l’industrialisation de l’eau en bouteille, revient pour le Mag’UPVD sur l’origine de cette appellation et la construction de ce marché économique.


 

Nicolas Marty
Professeur des universités en Histoire contemporaine

Comment avez-vous été amené à travailler sur l’eau en bouteille ?

Nicolas Marty : En tant qu’historien économiste, j’ai fait ma thèse sur l’histoire de l’entreprise Perrier et sa communauté ouvrière. Une partie de mes travaux portait ainsi sur l’histoire de l’entreprise, son origine et dans quel marché économique elle s’inscrit. C’est à partir de ce moment-là que je me suis intéressé au marché de l’eau embouteillée dans son ensemble avec tous ces opérateurs et sa construction. Dans mes recherches, j’ai beaucoup travaillé sur la définition de la qualité de l’eau minérale en Europe et la régularisation qu’il en découle aujourd’hui selon les pays.

 

Quelles sont les spécificités du marché de l’eau en bouteille en Europe ?

En Europe, pour un même produit, les marchés se sont construits de manière différente. En France, il faut l’équivalent d’une autorisation de mise sur le marché par la puissance publique sur avis de l’Académie de médecine, postulant une valeur thérapeutique ou favorable à la santé. Alors qu’en Allemagne, en Autriche et en Suisse, ce sont les chimistes qui ont défini la qualité de l’eau minérale par rapport à la simple présence de minéraux dans l’eau. Sur le plan économique, en France nous sommes en présence d’un oligopole. Trois gros opérateurs contrôlent une partie significative du marché. En revanche, en Allemagne, il n’y a pas d’oligopole mais une multitude d’opérateurs régionaux.
 

Pour un même produit, les marchés se sont construits de manière différente.




 

Comment expliquez-vous ces différences ?

En histoire sociale et économique, on considère que la construction des marchés n’est pas naturelle, mais une résultante des rapports de force entre différents acteurs marchands et non marchands. En France, le marché de l’eau minérale en bouteille a été régulé par l’Académie de médecine, acteur non marchand, qui souhaitait valoriser ses bienfaits thérapeutiques et défendre le thermalisme. Au Royaume-Uni, au contraire, ces bienfaits ne sont pas du tout pris en compte. Tant que le consommateur est informé de ce qu’il y a dans le produit qu’il achète (sucre, arômes…), les opérateurs peuvent vendre librement leur bouteille sous l’appellation « eau minérale » ou sous une autre d’ailleurs. Ce n’est donc pas la même régulation ni les mêmes pratiques industrielles qui se mettent en place historiquement en fonction de la définition de l’eau minérale adoptée par chaque pays.

 

Quels sont les défis à venir ?

La production des bouteilles en plastique, malgré le recyclage, a un coût en ressources conséquent. Sur ce point, je pense que nous allons devoir nécessairement nous éloigner des emballages à usage unique. D’autant plus qu’il participe à la diffusion des micro-plastiques dans les eaux et les organismes vivants, impactant nos environnements et la santé humaine. Dans tous les cas, c’est un secteur aux enjeux politiques importants.

Selon le Syndicat des eaux minérales naturelles et des eaux de source, la filière représente en France 11 000 emplois directs et 30 000 emplois indirects. C’est aussi une industrie qui contribue à la bonne image de la France à l’étranger. Il sera donc important de clarifier la question de la définition de la qualité et de trouver des solutions pour le réemploi, probablement par la consignation du verre.



 

Mag'UPVD : le magazine d'actualité de l'Université Perpignan Via Domitia

Rencontres, initiatives, événements, vie de campus, formation... Le Mag'UPVD est un vrai concentré de toutes les actions menées par l'Université Perpignan Via Domitia ! Pour cette nouvelle édition, le magazine revient sur les grands projets transfrontaliers menés par l'établissement.

Retrouvez le dernier numéro du Mag'UPVD en version numérique : Mag'UPVD #48




 
Mise à jour le 2 juillet 2025
https://www.univ-perp.fr/magupvd-48-eau-en-bouteille-une-histoire-qui-fait-pschitt